Retour sur le carnet de mission du lundi 8 avril au mercredi 17 avril  en Côte d’Ivoire (Abidjan-Bouaké-Kaloukro).

À retrouver également en image sur notre chaîne Youtube.

LUNDI 8 AVRIL

Bienvenue en Côte d’Ivoire. Père Ollo et les personnes que nous croisons nous accueillent chaleureusement, les portes de l’aéroport s’ouvrent et déjà la chaleur humaine nous saute au visage.

C’est parti. Une bonne nuit de sommeil et direction Bouaké pour découvrir ce qui nous attend.

MARDI 9 AVRIL

8h30, après un petit déjeuner à discuter de la richesse des échanges que nous aurons la chance de vivre cette semaine, nous embarquons. Le bruit du moteur, l’odeur de l’essence, la métropolitaine vit à vive allure. Un petit passage sur le pont de la lagune et nous voilà dépaysés, parmi les palmiers et cette nature verdoyante. Les routes que nous empruntons sont d’une qualité dont certains pays européens pourraient prendre exemple.

Nous passons à côté du quartier d’Adjamé, où Père Ollo est né. Nous parlons de la belle diversité du pays. Nous traversons des parcs si verts, où les gens viennent se reposer à l’abri des arbres. Ces lieux font peu à peu place aux logements récemment détruits par l’état, suivie d’une grande zone industrielle, mais la nature reprend vite ses droits et le vert revient rapidement nous éblouir.

Les routes sont calmes, quelques personnes marchent le long de celles-ci, récoltent des bananes, des herbes pour les animaux des villes… le temps est à la contemplation de ces arbres à caoutchouc, l’hévéa, des termites plus hautes que nous et de ceux qui croisent notre chemin.

En s’enfonçant dans les terres, on se rend compte du temps qui passe. Le silence, les paysages à perte de vue, et ce temps qui ralentit, loin du rythme effrénée européen. À la croisée de ceux qui prennent le temps de marcher pour aller à leur destination, peut être par manque de véhicule ou d’autres solutions, mais finalement peu importe la raison, ils prennent le temps d’arriver à destination, quand nous avons tendance à renoncer à une finalité plutôt que de perdre du temps à l’atteindre. Ralentir au rythme de sa vie. Au-delà des difficultés.

Akwaba !

Bouaké, enfin, quelle rencontre ! Le calme a laissé place à une vive allure, mais plus douce. À chaque coin de rue, tout le monde s’affaire, à tout âge. On sent une détermination et une bienveillance d’entrée de jeu. Mais commençons par le commencement : nous déposons nos bagages dans cet hôtel hors du temps, une parenthèse naturelle dans un écrin de terres rouges avant de repartir sur les routes, en direction de Kaloukro.

Nous quittons l’asphalte pour les pistes. À l’orée du village, Père Ollo salue quasiment chacune de ces personnes. “Ce sont les villages” dira-t-il. Il évoque la promiscuité qu’on y rencontre et le bonheur de partager. “Tout le monde se connaît”.

Kaloukro. Quel plaisir de te découvrir, discuter des usages et coutumes locales avec la mutuelle du village, les initiatives locales, le dynamisme de ta communauté, rencontrer les jeunes filles du CFJF, le chef du village… Te quitter en reprenant ces mêmes pistes où les terres s’envolent face au soleil couchant semble presque irréel, comme trop rapide. Nous n’avons qu’une hâte : te retrouver pour en apprendre davantage à ton sujet.

En attendant, nous nous retrouvons sur le toit de cette parenthèse qu’est notre hôtel pour entendre la population s’exalter devant un match de leur équipe de football préférée. Une belle conclusion pour une journée vive en émotions. Passer du silence de l’attente entre chaque but qui ravive l’esprit aux cris de joie. Merci Bouaké, ce fut doux de te rencontrer, à demain.

MERCREDI 10 AVRIL

Un bon petit-déjeuner et nous voilà prêtes pour débuter nos échanges de vive voix avec l’Association de la Maison de l’Enfance (AME). Nous prenons doucement goût au rythme, au climat et à l’atmosphère locale.

Père Ollo vient nous récupérer dans son célèbre Toyota blanc local qui ne passe inaperçu nulle part. Les rues sont plus calmes que la veille, le temps est à la prière pour les locaux musulmans qui célèbrent la fin du Ramadan. En arrivant à la MEB, Madame la directrice, Madame Fanta, nous accueille et nous rencontrons enfin en chair et en os, Louise et Carole, nos deux autres partenaires.

Travailler en entendant la joie des enfants en internat qui jouent dans la cour n’a pas de prix. Pour eux et avec eux. Ils termineront cette matinée sur le trampoline à sauter de joie tous ensemble. Et nos cœurs en font de même.

Nous poursuivons en arpentant le champ de manioc de 3,5ha de l’association. Une fois la piste vers Kaloukro de nouveau empruntée, nous nous retrouvons de fait à déambuler dans les hautes herbes de ces hectares, remplis de manioc, longés d’un cours d’eau, arborés d’un manguier, d’un anacardier… cette terre donnée par la communauté voisine est finalement un petit paradis, comme celles qui l’entourent. Un cadeau inestimable où de multiples projets n’attendent que de voir le jour.

Il est temps de reprendre le chemin de l’hôtel où nous nous affairons sur les rapports et autres discussions logistiques. Un orage est de passage, la terre rouge s’envole, les portes claquent et l’air se veut vif. Si cet air est agréable, nous ne pouvons nous empêcher de penser à ceux que nous avons croisés et dont les constructions sommaires pourraient se fragiliser face à ce vent. Mais depuis notre lieu de travail, nous apercevons les populations continuer de préparer les festivités pour ce soir, aucun obstacle ne leur semble infranchissable.

À nous de tenir le cap.

JEUDI 11 AVRIL

Ça y est ! Nous allons passer la journée à la Maison de l’enfance et prendre le temps de rencontrer tout le monde aujourd’hui. Nous commençons à connaître la routine, Père Ollo vient nous récupérer du haut de son pickup, nous empruntons les mêmes rues que la veille, nous longeons la place de la paix si festive la veille et si calme ce matin.

Nous arrivons dans cette petite allée que nous commençons à connaître, et n’avons même pas besoin de klaxonner que les portes du paradis de ces enfants s’ouvrent comme par magie.

La matinée débute avec un mot de bienvenue, quelques présentations et échanges, avant qu’un tour des locaux nous soit proposé. Nous découvrons quelques productions de macramé et de peinture réalisées par les enfants. Tout est sublime. Certains artistes ne leur arrivent pas à la cheville. Nous sommes épatés face à certains porte-clés “crevettes” ou encore “tortue” et aux toiles de peinture qui nous sont présentées.

Les élèves et leurs formateurs nous accueillent ensuite fièrement dans chacune de leur classe du rez-de-chaussée d’en face. Nous y découvrons les visages de cette “famille” de 75 enfants aux parcours si différents mais que le destin a réuni dans cet établissement.

On nous présente leurs dortoirs, celui des filles, puis ceux des garçons, dont les lits sont tous soigneusement faits et dont les murs ont été décorés d’œuvres enfantines. Un Schtroumpf arbore un mur dans l’attente de quelques couleurs. Des esquisses de vie pour des enfants de passage qui habitent les lieux de tout leur être.

L’aide-soignante, qui leur apprend également le macramé, nous présente son infirmerie. Les cuisinières nous autorisent à entrer dans leur cuisine où l’odeur du déjeuner peut déjà se sentir et les marmites frémissent. On nous montre le château d’eau récemment rénové, l’espace de travail du gardien, des équipes, de madame la directrice. Ce véritable lieu de vie commence à nous paraître familier et les équipes également.

Nous nous installons ensuite pour poser toutes les curiosités qui nous traversent l’esprit tandis que nous nous en apprenons davantage au sujet de ceux qui accompagnent le quotidien des enfants, ceux qui sont à la fois des épaules et des oreilles pour ces jeunes qui en ont souvent manqués. Les échanges sont riches et les sourires fusent.

Après le déjeuner, et la sieste de chacun, nous retournons à la maison qui nous avait presque déjà manqué et découvrons une multitude de surprises préparées par les enfants. Un spectacle de danse endiablée, de taekwondo solennel et d’œuvres colorées et pleines de sens nous sont présentés avec tant de fierté. Nous prenons le temps d’admirer toutes ces créations et de leur partager notre enthousiasme.

Une fois les festivités terminées, les enfants reprennent doucement place dans les lieux, comme à leur habitude, et entament des jeux qu’ils connaissent bien avec Père Ollo. Une véritable harmonie semble régner. Les plus jeunes sont guidés par les plus âgés, les éducateurs veillent de façon bienveillante. On aperçoit des petits groupes d’affinité. La journée peut difficilement mieux se terminer que face à cette vision du vivre ensemble aussi douce et tendre.

Nous quittons les lieux le cœur léger de savoir ces enfants aimés et accompagnés.

À demain, Bouaké.

VENDREDI 12 AVRIL

Un rapide passage à la MEB ce matin, croisant le chemin d’un coq qui essayait d’entrer, pour retrouver l’équipe de sensibilisation et nous repartons sur les terres rouges qui nous mènent à Kaloukro. Les routes sont moins praticables qu’en début de semaine, la faute aux camions gigantesques qui passent par ces terres et font de ces chemins, généralement pratiqués par les motos et les passants, des pistes saccadées. La célèbre voiture de Père Ollo en fait d’ailleurs les frais et le énième trou que nous passons a raison de l’une des pièces du véhicule que nous pouvons entendre souffrir sous nos pieds. Toutefois, elle continue de nous mener à bon port. Peut-être grâce au camion que nous avons croisé et sur lequel nous pouvions lire « bonne chance », qui sait.

De rapides salutations au chef du village, et les chèvres nous accompagnent jusqu’aux portes du centre, particulièrement calme. L’équipe éducatrice nous indique que les filles sont déjà dans la garderie, à l’arrière des salles de cours, prêtes à participer à la séance de sensibilisation du jour. Nous sommes accueillies chaleureusement et nous installons parmi elles. L’animateur les met très vite à l’aise, et les rires et sourires en coin fusent. Toutefois, entre notre présence et la thématique du jour (les IST), on sent une timidité dans la salle, mélangée à une innocence pure.

Mais la journée laissera très vite place à certaines personnalités, plus curieuses, volontaires, maternelles, tendres. Chacune d’entre elles a son histoire bien à elle, et pourtant un lien solide semble ne jamais pouvoir les séparer. Ce lieu, dont nous découvrons les locaux, parfois exigus, mais remplis d’amitié, les réunit le temps d’un apprentissage professionnel, mais également de vie. La dizaine d’enfants de la garderie jouent autour de « mémé », la nounou en train de baigner un jeune garçon qui nous en voudra d’avoir interrompu son moment de douceur, tandis que nous découvrons les créations de leurs jeunes mères, en même temps que leurs personnalités, en passant de salle en salle.

Dans la petite classe de coiffure, nous échangeons avec Clémentine, la directrice, la nouvelle équipe éducative ainsi que les éducateurs en alphabétisation. Chacun nous évoque l’impact des projets, leur quotidien et leur parcours. Parler de ces projets, à côté des filles qui s’occupent de servir le repas et de récupérer leurs enfants pour les nourrir à leur tour, les entendre rire, profiter d’un moment convivial, continue de prendre tout son sens.

Ce n’est qu’en expérimentant cette chaleur humaine, ces couleurs vives, ces sourires francs, cette bienveillance réciproque que l’on se rend compte de l’importance du vivre ensemble.

Nous quittons Kaloukro, comme nous l’avons rencontrée, vivante et admirable, et terminons la journée sur le toit de notre hôtel, notre nouvel eldorado. Prendre de la hauteur pour mieux redescendre de toute cette énergie, de ces émotions. Prendre un peu d’air, non pas par peur d’en manquer, mais pour bien respirer et s’assurer de ne jamais oublier ces moments de vie inestimables.

SAMEDI 13 AVRIL

Nouvelle journée, nouveaux objectifs. Notre thé englouti, nous filons rencontrer un représentant de la chambre des métiers. L’occasion de retourner à la maison de l’enfance, où les visages semblent à présent si familiers.

Nous évoquons divers sujets à propos des difficultés que rencontrent certains jeunes pour s’insérer dans la vie active. Nous y apprendrons les commodités administratives, les parcours locaux… cet échange est une belle introduction à ce qui nous attend.

Nous quittons, en effet, la maison, précédés de Kolo sur sa moto, un éducateur de l’équipe sociale des lieux. À travers la ville, nous parcourons les différents lieux d’apprentissage des jeunes, découvrant divers corps de métier, lieux de vie, et quartiers de Bouaké.

Les rues transpirent du dynamisme de la communauté. Dans chaque coin, chaque trottoir, nous retrouvons un petit commerce de fortune ou bien établi. Chaque habitant s’est trouvé une vocation. Du petit salon de coiffure où trois femmes sont en train de natter, au centre de production d’une pâtisserie où l’apprentie pâtissière est en train de préparer des centaines de petit cakes.

L’art du batik, les techniques de tissage du pagne baoulé, la tapisserie de fauteuils à retaper, la création de vêtements grâce à ces tissus emblématiques, la sculpture du bois de tek, la menuiserie sur aluminium… « personne ne chôme ». Chacun vaque à ses occupations au rythme des klaxons de Bouaké jusqu’à ce que la musique puisse prendre le relai, une fois les roussettes passées dans le ciel sur leur prochain arbre pour la nuit.

Le temps pour nous de nous rafraîchir et nous voici de retour, pour notre plus grand plaisir, à la maison de l’enfance, celle grâce à qui nous avons eu le plaisir de vivre tout cela cette semaine. Une rencontre de courtoisie avec le conseil d’administration nous y attend. Cette rencontre est une nouvelle occasion de comprendre le contexte dans lequel nous travaillons chaque jour, et notamment l’engagement de la communauté.

Quitter ses lieux à une saveur à part. Je mets quelques temps à comprendre que ces aurevoirs seront les derniers et que nous ne passerons plus ce portail du paradis.

Le retour vers l’hôtel est plus silencieux que d’habitude.

DIMANCHE 14 AVRIL

Dimanche, jour sacré. Tandis que Père Ollo officie, nous faisons le point sur ce que nous avons eu l’occasion de vivre cette semaine et commencons à préparer notre retour.

LUNDI 15 AVRIL

Bouaké, quelle émotion de te quitter. Une fois la logistique passée de faire entrer tous ces généreux cadeaux que nous avons reçus dans nos valises bien pleines, nous prenons la route en direction d’Abidjan. Sur ce chemin parcouru dans l’autre sens que nous connaissons déjà, le temps semble être passé à vive allure. Comme si nous avions fait ce voyage la veille.

La musique reggae en fond sonore, nous parcourons de nouveau ces routes bordées de vert, la tête pleines de nouvelles expériences, de nouveaux visages, de parcours de vie, de coutumes, de saveurs …

On nous demande quand est-ce que nous reviendrons, mais une partie de notre cœur restera toujours à Bouaké et ses rues pleines de vie.

Comment oublier les parcours de vie de ces enfants, dont certains anciennement dits « microbes », qui arrivent à la MEB avec une violence en eux que l’on ne peut que comprendre et repartent avec un cœur plus apaisé ? Ou encore ces jeunes filles mères de 14 ans et parfois moins, qui parcourent des km de piste, leur enfant sur le dos pour venir se former dans un métier, et parfois se cachent dans les buissons lorsque des voitures passent par peur de se faire enlever ?

Ces commerces de fortune, en bord de rue, qui permettent à chacun de faire sa petite affaire et subvenir à ses besoins de base. Si la grandeur de cœur semble déborder, un véritable niveau de pauvreté ne peut être ignoré.

Passer d’une rue où des poubelles ont été installées, une route où les hautes herbes sur les abords sont soigneusement coupées, à un quartier résidentiel entier avec pour seul traitement des déchets un container qu’il serait temps de venir chercher pour le vider. Des tenues du dimanche si belles, colorées, festives, tirées à quatre épingle, mais également des enfants qui jouent avec un pneu abandonné, portant un pantalon rafistolé avec un bout de ficelle pour ne pas qu’il lui tombe sur les genoux.

Des terres sèches et arides, mais des arbres si verts, variés et remplis de mangues, de pommes de cajou… Des nouvelles constructions par centaines, mais aussi des dizaines de construction dont les travaux ont été arrêtés depuis des années. Des voitures flambant neuves, mais aussi des véhicules carbonisés sur le bas-côté. La tête surélevée d’un panier de pains libanais, mais les pieds nus.

Mais l’essentiel reste finalement dans les cœurs. Tous ont ce point commun qu’est l’amour, l’amour de l’autre, de sa patrie, de la terre, du travail bien fait… l’amour d’un éléphant, qui n’oublie rien, et encore moins son prochain.

À la prochaine, les éléphants. Nja kwla pour ces moments de vie. Si à notre arrivée, les valises étaient pleines de choses parfois peu utiles, elles repartent, soyez-en surs, pleines de votre chaleur humaine et de souvenirs.

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