Les enfants de la rue à Bouaké, en Côte d’Ivoire
Bouaké est la 2ème ville du pays en termes de démographie. Malgré l’instabilité politique, la situation de sécurité fragile et le taux élevé de pauvreté du pays, la ville de Bouaké constitue un carrefour commercial. Cependant, en dépit de la croissance économique des dernières années, le phénomène des jeunes sans abris demeure.
La Maison de l’Enfance de Bouaké (MEB) a ainsi été créée en 1970 par les Religieux de Saint Vincent de Paul (RSVP) pour assurer la protection des jeunes garçons livrés à la rue. Père Ollo est aujourd’hui le responsable de la MEB, soutenue par la fondation depuis 2009. Lors de sa visite au Luxembourg, il a notamment eu l’opportunité d’évoquer ce projet lors de 4 conférences données à l’Ecole Privée Fieldgen (EPF), dans le cadre de la semaine Follereau.
EPF : Père Ollo, pourriez-vous nous dire pourquoi êtes-vous devenu prêtre, s’il vous plait ?
Père Ollo : Par amour des enfants – je voulais aider les enfants. J’ai moi-même connu des situations difficiles en tant qu’enfant. Quand mon papa était malade, il ne travaillait plus, nous n’avions pas de moyen et il fallait se débrouiller pour vivre en tant qu’enfant. À l’époque, ma grande sœur a abandonné l’école et appris des métiers pour que nous puissions aller à l’école et reprendre une vie normale. Cette situation de pauvreté m’a beaucoup marqué et m’a donné l’envie de m’engager pour la cause des enfants.
Quel rôle avez-vous à la Maison de l’Enfance (MEB) ?
Je suis le responsable de la MEB et je m’occupe d’y coordonner les activités avec le CFJF. Je participe également à certaines activités, comme les visites dans la rue. Mais mon rôle principal consiste en la coordination des activités, en tant que responsable de la MEB. Je suis arrivé à la MEB le 12 novembre 2012, mais j’ai réellement commencé à y travailler en 2013. En 2012, j’y apprenais notamment le fonctionnement de la Maison.
Avez-vous pu observer des changements depuis votre arrivée ?
Oui, il y a eu beaucoup de changements ! À mon arrivée, il n’y avait pas de dortoir par exemple : les enfants venaient manger et beaucoup repartaient dans la rue. La fondation nous a alors aidé à avoir un dortoir pour les enfants et ils nous ont également aidé à améliorer les conditions de vie, que ce soit le réfectoire ou en matière d’eau potable par exemple. On avait de l’eau, mais il y avait un manque de moyens. La fondation a ainsi permis d’améliorer le cadre et notre manière de faire. Le fonctionnement se faisait au jour le jour et progressivement, ils nous ont aidé à nous professionnaliser.
Comment décidez-vous si les enfants sont externes ou internes ?
Il y a des critères établis pour les enfants internes : ce sont des enfants qui n’ont pas d’endroit où demeurer ou bien ils sont dans des familles mais leurs conditions de vie ne leur permettent pas de s’épanouir. Certains sont victimes de violence, d’autres rejetés parce que suspectés de sorcellerie… Ces enfants n’ont pas de cadre de vie « normal », donc nous les accueillons dans le centre pour leur permettre d’avoir une vie « normale ». Pour les externes, ce sont des enfants qui sont en famille mais qui, du fait de leur pauvreté, n’ont pas la chance d’avoir de loisirs ou d’aller à l’école : cette pauvreté explique aussi que les parents peuvent laisser leur enfant effectuer des travaux qui ne respectent par leur dignité. L’enfant doit ainsi travailler pour vivre et souvent aider sa famille. Nous recueillons ces enfants pour les aider : ils viennent faire les cours, ont le droit à l’alimentation, au besoin, ils se lavent et ils ont aussi des tenues de rechange.
Certains parents ne comprennent-ils pas vraiment pourquoi leur enfant doit aller à l’école ?
Pour certains, l’enfant est une main d’œuvre qui doit travailler pour la famille. C’est une mentalité qui existe dans certains peuples et on a remarqué que la grande majorité les peuples du Nord ont cette mentalité : l’enfant doit travailler pour la famille. Pour eux, le destin de l’enfant n’est pas à l’école, mais bien de travailler à la maison.
Un enfant qui habite à 8km, ce n’est pas à côté de l’école – comment recrutez-vous ces enfants ?
Nous avons une équipe mobile ainsi que des séances sensibilisations communautaires que nous réalisons. Il existe également des personnes référentes, qui sont comme des repères pour nous et peuvent nous orienter vers des enfants ou nous signaler des cas d’enfants. Il y a également des familles à qui l’on peut rendre visite et voir un peu la situation des enfants, ceci grâce aux informations reçues. Dès lors, nous réalisons des enquêtes sociales qui se font pour voir si l’enfant remplit les critères d’intégration du centre.
Depuis toutes ces années, un enfant ou une situation vous a-t-elle beaucoup touché ?
Effectivement. Il s’agit d’un enfant que nous avions trouvé et qui était accusé de sorcellerie – elle avait 11 ans. Ils l’ont envoyée dans ce qu’ils appellent un camp de prière. Ce sont des sortes de secte dans la campagne. Ils ont attaché l’enfant avec des chaînes, les quatre membres ensemble, dans un champ de manioc. Ils lui posaient la nourriture et elle devait manger avec la bouche. Les chaines avaient rongé ses bras et ses pieds. Elle a même perdu un doigt. Cet enfant est venu au centre. Au début, nous pensions qu’elle allait mourir parce que son cas était grave, mais on a réussi à la soigner. On l’a ainsi gardée au centre, suivi ses soins, grâce à notre salle de soins dans laquelle un infirmier venait la soigner. Elle a regagné sa famille avec beaucoup de joie.
Quels sont les projets futurs de la MEB ?
Le projet futur auquel nous pensons pour les enfants, c’est d’élargir le cadre, qui est petit. Il n’y a pas de terrain de sport, par exemple. On est obligés d’aller dans un autre centre, dirigé par les RSVP où il y a tous les terrains de sport. L’autre aspect, c’est de voir si on peut en faire deux centres – un centre d’accueil et d’orientation et un centre d’hébergement. En réalité, cela fonctionne sous ce modèle, mais tout est ensemble, ce qui fait qu’il y a des enfants que nous recueillons pour un temps et qui doivent partir – le temps de régler leur situation pour retrouver leur famille. Eux ne peuvent pas rester dans le cursus scolaire normal comme les autres. Ce centre d’orientation aiderait à faire la part des deux groupes et puis voir qui peut venir dans le centre d’hébergement et qui peut rester dans le centre d’orientation, en vue d’une réunification.